Retour et relations sociales

par | Fév 10, 2017

Retour et décalage : être intru en sa demeure ?

De nombreuses personnes qui reviennent d’expatriation ou d’un grand voyage peuvent ressentir une certaine solitude provisoire ou non, liée à un sentiment de décalage plus ou moins prononcé. Cette solitude ressentie est la manifestation d’un problème d’appartenance identitaire. Problème, ce décalage est invisible pour ceux qui n’ont pas quitté la France, et qui pensent retrouver l’un des leur exactement identique à eux-mêmes.

Le retour d’expatriation peut être une période difficile qui met « au pied du mur » : nous sommes forcément décalés par rapport à ceux qui n’ont pas bougé, ou moins, ou différemment. Cela s’améliore grandement ces dernières années car de plus en plus de gens partent jeunes, mais les jugements hâtifs ou tout simplement maladroits de l’entourage sont encore un problème couramment rencontré au retour.

Les réflexions toutes faites des collègues, les questions rentre-dedans des recruteurs (« Mais pourquoi êtes-vous rentré? ») peuvent fatiguer, user un peu le moral, donner envie de se taire et de vivre sa transition intérieure en silence. « Fake it until you make it », even if you never make it! Parce que l’autre problème ici en jeu est que ceux qui sont partis une fois ne pourront jamais redevenir uniculturellesLe fait d’être parti une fois ouvre les horizons et l’esprit. Il ne pourra plus se refermer, et fort heureusement il est impossible de le forcer. Par contre, avec le temps, si rien n’est fait pour « rester soi », il y a un risque de se voir dilluer soi-même, à force d’affronter l’incompréhension des Autres. Tout l’enjeu de la réadaptation est de pouvoir trouver une voie qui permette d’être soi, de s’épanouir, tout en recréant des liens avec les autres, pour dépasser ce décalage initial.

La résignation et le silence sont alors les pires ennemis possibles, car le récit de l’expatriation doit être dit et entendu pour que le processus de deuil puisse s’accomplir. Comme toute rupture, toute transition de vie majeure, le retour implique un travail sur soi, ses émotions et son positonnement identitaire. Il oblige à se recentrer et à éliminer tout ce qui ne fait pas partie de soi. Cela peut être difficile quand on réintègre un environnement social ou familial qui nous freine à ce niveau, comme c’est parfois le cas lors d’un retour.

Se réadapter sans se trahir soi-même

Face à l’indifférence ou à l’incompréhension constante des interlocuteurs, la grande majorité des personnes qui reviennent d’expatriation font un choix rationnel leur permettant à la fois de se réadapter, mais aussi de s’économiser : elles arrangent la vérité, rusent, arrangent, bricolent, se taisent et/ou opèrent un tri radical dans leurs fréquentations. On éludera certaines questions, on enjolivera certains aspects de la vie à l’étranger pour satisfaire son public et le conforter dans ses stéréotypes, on évitera de s’étaler sur les galères et les moments difficiles. Surtout, on fera très rarement mention de son état émotionnel actuel, pour éviter d’être attaqué là où, pour le moment, il y a une vulnérabilité.

Seulement voilà, les récits incomplets ou faux sont des dizaines de petites trahisons que l’on fait à soi-même. Si elles sont minimes et peu fréquentes, elles sont sans conséquences, mais quand elles concernent un pan entier de vie et des expériences émotionnelles fortes, ce qui est souvent le cas en expatriation, tout ce qui n’est pas dit peut engendrer des souffrances psychologiques importantes et surtout, durables. Il peut y avoir une forme de fatigue, d’usure qui s’installe, parfois jusqu’à plusieurs années après le retour, qui a tendance à isoler et à dresser des murs infranchissables entre soi et les Autres, mais aussi entre soi et soi-même. Certaines personnes iront même jusqu’à entrer dans un état dépressif latent, voire faire une dépression.

La difficulté de communication avec l’entourage provient souvent d’un défaut d’écoute, mais il peut aussi venir d’une mauvaise communication de notre part. Parfois personne ne le fait exprès, les choses sont justes trop confuses et trop récentes pour qu’on puisse les verbaliser clairement.

Le manque de documents et de ressources disponibles pour expliquer ce qui se passe à l’entourage a aussi sans doute un rôle à jouer, car la mobilité même aujourd’hui fait encore l’objet de nombreux malentendus, voire d’une certaine méconnaissance du grand public.

Nous travaillons à la réalisation d’un guide de l’accompagnement à la mobilité pour l’entourage, à ce sujet. Qu’il s’agisse des parents qui voient partir leurs enfants en expatriation, d’un couple qui va vivre un temps géographiquement séparé ou de toute autre configuration de rupture, et donc de décalage, entre personnes d’une même famille ou d’un même groupe.

Se protéger le temps de rebondir

Le retour d’expatriation est une transition, et implique souvent (mais pas toujours) un deuil sur le plan psychologique.

C’est une perte voire un renoncement, selon les situations, dont l’intensité peut être comparable dans certains cas à la perte d’un proche (d’autant plus quand le retour est synonyme d’évènements tragiques autour de soi). Voilà pourquoi les remarques « anodines » (ou pas) de nos proches sont si difficiles à supporter. C’est un peu comme si une veuve endeuillée subissait les moqueries parce que son mariage était percu par les autres comme une aventure paradisiaque, et que désormais « elle était revenue à la case départ », et que c’était presque « bien fait pour elle ». Or, il ne viendrai à l’esprit de personne de penser cela d’une personne venant de subir la perte d’un proche. Il y a autour de l’expatriation beaucoup de maladresses et donc de souffrance inutile, même si heureusement ce n’est pas toujours le cas.

Pour se protéger, il est déjà bon de comprendre pourquoi ce qu’on traverse est difficile. Cela aide à relativiser l’impact des paroles des autres, et à dédramatiser la situation. Savoir que l’on est pas seuls, qu’une vaste communauté d’entraide existe à ce sujet et propose des rencontres régulièrement permet de rompre l’isolement. Inutile de se lancer dans de grandes argumentations à l’encontre des proches, ce qui compte, c’est d’arriver à transmettre le fait qu’on a besoin de soutien, de douceur, de compréhension, de compassion, à ses proches qui seront souvent heureux de pouvoir apporter leur aide.

Le Guide du retour en France

Retrouvez l’ensemble de notre expertise sur le retour en France (administration, emploi, psychologie, citoyenneté, et bien plus) dans notre ouvrage de référence : le Guide du retour en France. Plus de deux-cent pages, remis à jour chaque année depuis sa création en 2016. Par Anne-Laure Fréant, fondatrice de Retourenfrance.fr et consultante pour le Ministère des Affaires Etrangères pour les contenus du simulateur « Retour en France ».