La souffrance liée au déracinement : qu’est-ce que c’est ?

Le mal du déracinement : une souffrance tabou

Quand j’ai créé le site retourenfrance.fr et la communauté d’entraide “Retour en France après une expatriation” l’année dernière, je ne m’attendais pas à une telle abondance de témoignages, de questions pratiques, d’inquiétudes, mais aussi d’appels au secours. J’avais bien pressenti une “galère partagée” par beaucoup d’entre nous, mais je ne pensais pas toucher à ce point à l’intime, au personnel, à “l’âme”.

Entre les coups de gueule et les fous-rire liés à l’absurdité de leur situation, chacun expérimente quelque chose de différent, mais de fort. On ne veut pas se plaindre. On refuse de se montrer faible face au système, considérant qu’avoir été “expatrié” est un privilège, une chance. On a du mal à se sentir en confiance, après tant de jugements hâtifs et de maladresses subis depuis ce retour. Au sein de la communauté, on se lâche un peu plus, sur le ton de l’humour, mais aussi parfois à travers d’intimes et touchantes paroles révélées dans la discrétion d’une conversation privée par email ou téléphone.

Ces gens ne me connaissent pas, mais ils me font confiance parce que j’ai essayé de mettre des mots sur ce qu’ils traversent, et qu’apparemment, j’ai (un peu) réussi.

Touchants, poignants, souvent pudiques, ces appels au secours très dignes révèlent entre leurs lignes les grandes souffrances vécues par les familles, les parents, les enfants, les ados.

Ils me touchent chaque fois d’autant plus qu’ils font écho à ma propre expérience, celle d’une souffrance répétée face à l’incapacité d’appartenir à mon propre pays, à ma propre société, vécue à chacun de mes retours de l’étranger.

Perte de repères, destruction du sentiment d’appartenance, déstabilisation identitaire, remise en question profonde de soi, solitude, frustrations sociales et intellectuelles, angoisses face à l’avenir … Non, décidément, le retour d’expatriation, comme toute expérience de déracinement, n’est pas une transition anodine dans une vie, surtout pour les plus jeunes et les plus vulnérables sur la plan de l’ancrage affectif. Son caractère tabou, secondaire, comme s’il s’agissait d’un problème marginal de notre monde, rend la souffrance des “déracinés” encore plus silencieuse, profonde, durable. Norme sédentaire oblige.

Le déracinement : une violence psychologique réelle

Depuis des siècles, le déplacement des populations forcé a causé la perte de cultures et de sociétés entières. Si s’expatrier et revenir de son propre chef n’est pas comparable à un exil forcé ou à une expulsion territoriale en terme d’échelle et de conséquences durables, les plus vulnérables encaissent de plein fouet la violence du choc avec la même intensité. Surtout les enfants “suiveurs” pour qui le retour a tout d’un exil forcé, à leur niveau.

Inexpliquée, incomprise, cette violence se retourne contre ce que chacun a de plus précieux et de plus intime. Silencieuse et invisible pour les autres, elle détruit imperceptiblement l’estime de soi, la confiance en soi, la confiance en l’autre, les racines de l’appartenance. Elle coupe le lien de chacun avec l’univers et crée une angoisse existentielle profonde, notamment chez les plus jeunes en pleine construction identitaire. Elle remet en cause la véracité de son existence, comme si l’on pouvait désormais disparaître à chaque seconde. Comme si l’ensemble du décor autour de soi n’était qu’une illusion. On se retrouve en plein trip à la “Truman Show”, effrayés par les autres à qui on ne peut plus faire confiance.

Sont-ils réels après tout? Et moi, le suis-je aussi, puisque que tout de moi peut disparaître du jour au lendemain ?

On ne la comprend pas, on ne l’explique pas, on est démuni face à cette violence. On ne s’y était pas préparé, et les ressources pour y faire face sont encore rares. La plupart des psys passent à côté du problème. Seuls les praticiens ayant connu des conditions de travail humanitaires (aux côtés des réfugiés, des exilés, des déplacés) et les professionnels des méthodes alternatives, plus intuitives, parviennent à capter les signaux de ce mal si particulier qui ne saurait s’arranger en “sortant plus” ou en “faisant un effort”.
La souffrance est réelle, elle n’a rien d’un caprice ou d’un coup de mou. Elle ne se guérit pas avec des médicaments, des pansements temporaires comme un voyage touristique de courte durée, ou un nouveau jouet. C’est le sentiment d’appartenance qu’il faut soigner. Et pour cela, il faut reconstruire l’ensemble des liens tissés entre un individu et son monde. Cela prend du temps, et un travail attentif, durable et régulier sur soi, qui doit être accompagné et encadré.

 

 

Pour des informations détaillées sur la dimension psychologique du retour et de la mobilité, consultez le Guide du retour en France pour bénéficier du fruit de nos recherches sur le sujet.